Lorsque j’ai dit à Şafak que je cherchais une nouvelle colocation à Cihangir, il m’a dit sur un ton catégorique: « Tu vas préférer Moda. C’est là que j’habite et c’est l’endroit le plus sympa d’Istanbul! »
Moda? C’est un quartier de la commune de Kadıköy située sur le continent asiatique.
C’est marrant parce qu’à Istanbul, il y a deux clans: les Européens et les Asiatiques. Les Stambouliotes européens disent toujours qu’ils n’iraient jamais habiter en Asie parce que c’est trop loin et qu’on s’y ennuie. D’ailleurs ils n’y mettent jamais les pieds.
Ceux qui vivent sur l’Anadolu yakası = la rive asiatique, pensent tout le contraire. Pour rien au monde, ils ne s’installeraient en Europe car les gens y sont bien trop stressés. D’après eux, l’Asie est plus calme, plus verte et bien plus agréable à vivre. Et cela ne les empêchent pas de bosser en Europe. Şafak confirme: « La traversée se fait en maximum 30 minutes en bateau et en plus elle est relaxante: on peut lire, manger et boire un thé alors que côté européen, les gens font des heures d’embouteillages tous les jours pour parcourir à peine quelques kilomètres. » C’est pas faux. « Evidemment, il faut le voir pour le croire », ajoute-t-il. Je t’invite chez moi demain, ça te dit? »
Le lendemain, mon nouvel amoureux m’attend à la station de bateau. Surprise: il est venu à vélo! C’est la première fois que je vois quelqu’un utiliser ce moyen de transport à Istanbul . « Et oui, à Kadıköy, c’est possible, » explique-t-il. « On a même une digue ultra longue qui part de Caddebostan et qui va jusqu’à Kartal. Là-bas, y a plein de gens qui font du roller. »
Je suis limite déjà convaincue. Encore plus quand je découvre toutes ces petites rues toutes mignonnes remplies de restaurants, de bars et d’échoppes. « Et là, c’est le marché permanent. Une rue entière dédiée aux poissonniers, légumiers, fromagers, bouchers et épiciers. » Je remarque aussi qu’énormément de jeunes jouent au Backgammon, aux cartes et fument le narguilé. Cette ambiance ‘typique’ est effectivement très différente de celle de Beyoğlu, Şisli et toutes les autres communes que je connais en Europe.
Lorsqu’on arrive à l’appart, je suis accueillie par Ebu et Atilla, les deux colocs de Şafak qui avaient hâte de me rencontrer. Un troisième individu me regarde également avec attention: « C’est Zilli, notre chatte. Oh kiziiiim = ma fille » susurre Ebu dans les oreilles du chat. Je caresse ce longiligne animal noir et blanc et demande: « C’est mignon Zilli, ça veut dire quoi? »
Réponse enjouée de Şafak: « Ca veut dire « salope », parce que c’est une fille qui habite seule avec trois mecs… »
Hmm…
Je fais ensuite le tour du propriétaire. Trois chambres, une salle de bain, une cuisine, un grand salon. Celle de Şafak est la plus grande. « En fait elle est à Ebu mais comme tu es là, il nous la prête. On fait toujours ça. Celui qui a une copine reçoit la meilleure. »
Hmmm…
Les colocs proposent alors de prendre le kahvaltı = petit-déjeuner tous ensemble. J’accepte avec joie.
– « Où va-t-on? Vous avez une adresse préférée? » Les trois mecs répondent en coeur: « Oui, ici à la maison! » Şafak m’explique qu’en tant que musiciens, ils sont toujours sur la route. Quand ils ne travaillent pas, ils aiment profiter de leur appart. « En plus, précise-t-il, on est les rois pour préparer le petit-déjeuner. » Je ris intérieurement: ça ne demande quand même pas des capacités de chef coq! Tu prends le lait, le pain et la confiture, tu les mets sur la table et puis voilà quoi! Sauf qu’en les voyant s’affairer, je comprends mieux. Vas-y que je te prépare toutes sortes de fromages, des tomates et concombres soigneusement assaisonnés, des olives, du pain frais et grillé et des oeufs préparés au goût de chacun: en menemen (oeufs brouillés cuits avec des tomates et des poivrons), sahanda (sur le plat) ou en omelette. Le kahvaltı en Turquie, c’est un véritable festin!
Pendant le repas, j’en apprends plus sur la vie de chacun. Ebu, grand et mince, est tromboniste. Atilla, joufflu et aux cheveux grisonnants, est contrebassiste. Ils ont 24 ans, sont tous les deux employés de l’opéra de Moda et jouent en freelance pour des symphonies. Şafak, quant à lui, n’a pas de job fixe et doit se débrouiller pour trouver des concerts réguliers pour remplir le frigo. Il se perfectionne aussi à l’Université des Beaux Arts Mimar Sinan à Beşiktas plusieurs fois par semaine. Tous prennent l’avion et le car plusieurs fois par mois pour travailler aux quatre coins du pays. Parfois ils jouent en France, en Allemagne et même en Chine et en Australie! Şafak m’explique que leur vie à eux est très différente de celle de Sinan, le George Clooney local que j’ai rencontré la semaine d’avant. « Lui, c’est un fils à papa. Il vit chez ses parents, roule en BMW et n’a jamais eu à se soucier du lendemain. On ne vient pas du même milieu mais c’est notre ami quand même. »
Plus tard dans l’après-midi, Şafak, Ebu et Atilla m’emmènent au ‘çay bahçe’ = le jardin de thé de Moda. Il offre une vue imprenable sur la mer de Marmara et l’entrée du Bosphore (on peut même voir la mosquée bleue!).
En soirée, les trois mecs proposent de faire une partie de ping-pong au Bomonti kafé, une sorte de buvette en bord de mer, entourée d’arbres. Sur le chemin, on passe devant de magnifiques appartements avec terrasse et même des terrains de tennis. Moi qui pensait que les Stambouliotes n’étaient pas sportifs, je me suis visiblement trompée!
Une heure plus tard, Atilla gagne la partie. Les amis s’insultent puis s’étreignent affectueusement (ils sont bizarres ces Turcs quand même) et décident de se muscler les méninges avec une petite partie d’OKEY, un jeu de société turc basé sur les calculs.
Moi je reste un peu en retrait tout en les observant. En une journée, j’ai beaucoup appris de leur gestuelle, leur façon de s’exprimer… je me dis que sortir avec Şafak était décidément la meilleure façon de m’immerger dans la culture locale…
Cette aventure s’est déroulée en août 2009 mais a été écrite le 26 mars 2012.
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