Un monsieur, sourire jusqu’aux oreilles, yeux bleus pétillants et tignasse poivre et sel, dévale les escaliers et les remonte quatre à quatre avec ma valise. C’est Ahmet, le papa de Berrak. Il me gratifie d’une chaleureuse poignée de main, m’offre une paire de ‘terlik = pantoufles’ et m’invite à dans la cuisine. La table est garnie de sigara börek, beyaz peynir et autres mets de bienvenue que Birsen, la maman, s’est attelée à préparer.
Une après-midi, Berrak et moi embarquons pour une visite guidée organisée par l’Institut français d’Istanbul. Nous sommes venues pour découvrir, avec grand intérêt la commune d’Arnavutköy, paraît-il, en pleine expansion. En réalité, cette division territoriale est envahie par les ‘Toki’, espèces d’HLM épouvantables qui gâchent le paysage. En fait, les politiques (en pleines élections communales) font construire ces cages à poules pour une bouchée de pain et y entassent les plus démunis, ravis d’être logés dans des bâtiments décents.
Ma première impression était la bonne : Necla est folle. Mais gentille. Elle est aussi bordélique. Et manipulatrice. Elle avoue d’ailleurs en pouffant de rire: «j’ai dit que j’étais une maniaque de la propreté pour que tu prennes l’appart’». Une saloperie en somme. En turc, et puisqu’elle est prof de français, c’est elle qui me fait la traduction, ça se dit: ‘üç kağitçi’.
Peu de temps avant mon départ, j’ai découvert www.couchsurfing.com, un site génialissime dédié aux voyageurs. Le principe ? Vous partez en voyage et vous avez envie de découvrir la ville à travers les yeux d’un local ? De généreux habitants vous font visiter gratuitement mais en prime, proposent également leur ‘couch = sofa’ pour la nuit. A mon arrivée à Istanbul, j’ai donc ‘couchsurfé’ un max (sans profiter du couch) pour faire connaissance avec la mégapole mais surtout avec ses citoyens.
C’est ainsi que j’ai rencontré Kaan, un architecte paysagiste qui ne fréquente que la haute société. Il m’a emmenée diner dans un restaurant avec une vue 360° sur tout Istanbul. J’ai fait la connaissance d’Erdem qui m’a fait découvrir Zencefil où l’on mange végétarien et bio. J’ai croisé Duygu, une fille méga enthousiaste avec qui j’ai dansé une nuit entière au Litera, un resto à l’étage avec vue sur le Palais de Topkapı. Et puis je me suis essayée au Backgammon avec Can à qui je n’avais rien à dire.
J’ai revu Florent, le Belge rencontré dans le dolmuş et on a passé une nuit à chanter des chansons en flamand après un barbecue arrosé de rakı sur le toit d’un appart à Galata. En cherchant une brique de lait de soja au supermarché, je suis tombée sur Jayda, une herboriste et aromathérapeute dont le magasin est à deux pas de l’appart.
A l’école, j’ai étudié en compagnie d’Arifan, Indonésien, de Ahmed, Somalien, de Recail, Macédonien, de Melike et Kataryna, Ukrainiennes et de deux Japonaises comiques dont j’ai oublié le nom. Dans les couloirs, entre deux cours, j’ai sympathisé avec Mohamed, Syrien et un drôle de Kossovar supporter fanatique de l’équipe de Galatasaray.
Dans un bar branché de Tünel, avec Julie et Valérie, on a fait la connaissance du serviable Serkan, employé d’une boîte de pub qui m’a ensuite présenté Kerem, motard chez BMW. Au même endroit, j’ai fait la connaissance du sympathique Tuncay, ingénieur mécanicien. Impossible de citer toutes les rencontres faites jusque là, il y en a à la pelle. Et tout cela, en seulement deux mois.
Avec Manolya à Cukurcuma, on pend son linge à l’extérieur à la vue de tous les voisins. On prend le thé sur le balcon en papotant avec la voisine qui verrait bien Mano comme belle-fille (son fils la mate le soir dans le noir caché derrière la fenêtre). On mange des tonnes de fraises et du Nutella à la cuillère. On regarde des films de Claude Lelouch en philosophant sur la vie. On se fait des masques à l’argile en guise de soins visages et on prend des photos ridicules dans la salle de bain. On écoute le chant du muezzin qui s’élève de la mosquée d’en face. On peste sur les mouettes d’Istanbul qui persistent à faire des réunions nocturnes sur le toit. On sort dans les bars de Tünel et Nevizade et on rentre à 5h du mat’ en faisant du bruit avec nos talons de filles dans l’escalier. La vie est belle.
Mais ouiiii, c’était évident ! Je n’y avais pas pensé parce qu’en Belgique, aller chez le coiffeur pour un brushing, c’est un luxe mais à Istanbul, le ‘fön=brushing’ est à prix mini. Alors à chaque sortie de prévue, les Turques foncent chez n’importe quel coiffeur de quartier. Ceux-ci se révèlent d’ailleurs être de vrais pros de la transformation capillaire. Des tifs plats sans coupe prédéfinie ? Passez entre leurs mains et vous voilà prête à tourner la prochaine pub L’Oréal. Et puis à 2,50 euros, vous le valez bien…
Je présente tout le monde à tout le monde. Farah à Manolya, Dario à Sophie, Farah à Dario, Sophie à Manolya… ça devient un meltingpot d’expatriés. On papote en terrasse, on marche de long en large sur l’avenue Istiklâl, on va dormir les uns chez les autres, on se baigne dans la piscine chez Farah, on teste le thé, le narguilé, le backgammon, bref, on s’amuse!
On découvre aussi qu’être ‘yabancı = étranger en Turquie, est une valeur ajoutée. Les Turcs nous adorent! Ils s’intéressent à notre histoire, à notre pays et nous complimentent également l’exquise façon dont on manie leur langue. Il faut dire que chacun a son propre vocabulaire. Sophie maîtrise tout ce qui est ‘tekne’ = bateau, ‘dişçi’ = dentiste et ‘dünya turu’= tour du monde. Farah excelle dans le ‘cezayirliyim’ = je suis Algérienne, ‘evliyim’ = je suis mariée ainsi que dans le non verbal (quand elle se tait, on la prend pour une locale). Manolya dompte son accent frenchie en prononçant de mieux en mieux ‘mücevherat’= bijouterie et en calme plus d’un quand elle dit ‘babam Türk’ = mon père est Turc. Quant à moi, je les épate parce que je suis ‘gazeteci’ = journaliste et que je suis venue toute seule dans cette grande ville (evet, yalniz geldim).
Evidemment, c’est le début. On est encore en ‘lune de miel’. On découvrira par la suite, qu’être expat’ en Turquie, ce n’est pas toujours, toujours le pied…
Manolya et moi, on s’entend bien. Lorsqu’elle revient de son stage de bijoux en fin de journée, on papote, on papote et ça n’en finit pas. C’est qu’elle a un tas de choses intéressantes à raconter. Elle me parle de son art, de sa double culture (Turque par son papa, Française par sa maman), du tarot (Mano lit dans les cartes)… Souvent on discute dans la cuisine, mais ce n’est pas très pratique quand Necla réorganise tous les placards. Alors on bavarde dans sa chambre (l’ancien salon) mais Necla a souvent quelque chose à y ranger. Quand on choisit la salle de bain, c’est pile le moment où notre hôte décide de prendre une douche (et Dieu sait que c’est rare, voir Necla ou la douce folie)
En fait, si Necla agit de la sorte, c’est parce qu’elle a quelque chose contre ma coloc’… On ne sait pas pourquoi mais elle adore la titiller. Par exemple, elle nous répète dix fois par jour, en s’esclaffant, que son amoureux kurde déteste Manolya et la traite de prostituée (ça fait toujours plaisir). Puis on l’a surprise plusieurs fois dans la chambre de Mano avec un air coupable qu’elle tente de cacher sous un rire de peste. Le jour où Necla nous annonce qu’elle organise un barbecue DANS LE SALON donc DANS LA CHAMBRE de Manolya, celle-ci est sur le point de l’égorger. Vite, vite, vite, prenons l’air, sortons sortons et surtout, trouvons-nous un nouvel endroit où papoter.
Vu l’ambiance à la maison, Manolya et moi préférons sortir le soir et bavarder dans un café. Bonne nouvelle, notre quartier pullule de restos et de bars branchés. Une après-midi, ma coloc’ me fait découvrir celui qu’elle préfère. Il est un peu décentré, en bas d’une rue, sur un coin: le Susam café. Un endroit complètement rétro, avec des chaises, fauteuils et tables dépareillées et plein de bric à brac déniché chez les brocanteurs de Cukurcuma. On s’y sent comme chez soi en mieux: parce que la musique est bonne et le service excellent. Cela deviendra notre QG.
Nous prenons carrément des habitudes. Plusieurs fois par semaine, nous allons nous y asseoir, chacune avec notre ordinateur, pour travailler. On bosse, on fait une pause papote, puis on ondule du popotin sur nos chaises (la musique est vraiment vraiment bien). Re-concentration, re-break etcetera.
En début de mois, on se lâche au niveau des consommations: Efes Dark pour Mano, Caffe Latte pour moi. Mais passé le 25 du mois, on passe au moins cher sur la carte: c’est thé ou eau plate. Et on essaye de ne pas boire trop vite pour faire durer le plaisir. Un jour, fauchées comme les blés, on se rend compte qu’on vient de monopoliser la meilleure table du Susam pendant 3 heures avec deux ridicules petits thés. Honteuses, on paye la note et on quitte notre QG. Mais le serveur nous arrête: « Alors vous partez déjà? » On lui avoue qu’on est gênées d’accaparer leurs beaux fauteuils alors qu’on n’a pas les moyens de consommer de ‘vrais boissons’. Et là il nous étonne: « Que vous consommiez 5 verres de whisky ou 1 verre d’eau, cela ne fait aucune différence. Vous êtes des clientes comme les autres. » Ma coloc et moi échangeons un regard, et nous tournons vers ce charmant employé pour connaître son prénom: « Metin ». Il deviendra notre serveur préféré.
Nous continuerons à osciller entre les jours fastes (fondant au chocolat, steak grillé…) et périodes creuses (eau plate, thé ou soyons fous, eau gazeuse!) mais seront toujours accueillies comme des princesses par Metin mais aussi Yusuf, Ali et Adnan. Bientôt tout le personnel connaîtra nos prénoms. La vie est belle. Nous sommes les reines du Susam Café.
Susam Café
Susam sokak n°11
Cihangir, Beyoglu, Istanbul
La cohabitation avec Dario se passe à merveille. Et pour cause: il cuisine. Moi qui suis incapable de préparer un seul met qui ait du goût, j’accueille le plus simple de ses plats avec un enthousiasme débordant. « Cette omelette est à tomber par terre », « J’ai envie de pleurer rien qu’à voir cette tartine » et autres « Merci, merci, merci mille fois pour cet oeuf sur le plat » trouvent écho dans l’égo de l’Italien qui, étant donné ses origines, manie encore mieux que moi l’art de l’exagération.
Si Dario et moi nous nous entendons bien, c’est aussi parce que nous avons des passions communes. La première? Nous vivons de façon alternative. Je me soigne grâce aux médecines naturelles depuis toute petite, je travaille en freelance, je pratique le troc tout le temps et je réussis tout ce que j’entreprends grâce, entre autres, à la pensée positive. Dario est tout à fait sur la même longueur d’onde. Il va même un pas plus loin puisqu’il est en train de créer un système monétaire alternatif grâce auquel les citoyens pourraient enfin gagner leur vie en faisant ce qu’ils aiment.
Notre deuxième point commun? Une addiction aux Goldie Brownies, d’immondes petits gâteaux aux ingrédients douteux (huile hydrogénée, mauvais chocolat…) vendus dans les supermarchés locaux à 25 eurocents. Une fois qu’on y a goûté, on ne peut plus s’en passer. Arrêter les Goldie Brownie nous demandera une énergie folle. Voilà en gros les quelques raisons pour lesquelles Dario et moi allons devenir, pendant un peu plus de deux mois, les presque meilleurs amis du monde.
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