Serfiraz est un colocataire très discret. Je sais qu’il a 21 ans et qu’il est Kurde originaire de Van, à l’est de la Turquie. Il est étudiant en informatique et très studieux. Tous les jours, il révise pour ses examens. Sauf un soir, quelques jours après mon arrivée, où il s’agite devant la télé. C’est le décompte des votes des élections communales et mon coloc’ attend fiévreusement les résultats du DTP, le parti pro-kurde. Au cours de la visite guidée d’Arnavutköy, Berrak et moi avions rendu visite au bureau local du DTP pour connaître leur programme. Nous en étions ressorties choquées : le responsable avait avoué, à demi-mot, que son parti soutenait les terroristes du PKK. Je garde donc un œil méfiant sur ce jeune étudiant si brillant, doué en math et en chimie, qui partage le même toit que moi. D’autant plus que Serfiraz a un air de ceux qui, à force de se réprimer, finissent un jour par exploser.
Le garçon a été élevé dans un village ultra-conservateur, dans une famille ultra-traditionnelle. Sortir avec son professeur de français, de 20 ans son ainée et vivre en couple ave elle sans être marié est en complète contradiction avec les valeurs qui lui ont été inculquées. Résultat : Serfiraz est en conflit avec lui-même. Il aime Necla mais se lave de la tête aux pieds après l’amour. Il vit avec elle mais ment à ses parents qui le croient sagement dans un foyer avec d’autres étudiants de son université. Necla, elle, est toujours sur son petit nuage. Elle raconte à tout le monde que cet été, elle part en vacances à Van avec Kado et qu’il va la présenter sa famille. Son plan : se faire passer pour une jeune de 30 ans. « Je pourrais les faire, non ? » demande-t-elle en regardant son reflet dans le miroir.
Un soir, son amoureux revient avec une mauvaise nouvelle : sa famille lui a rendu une visite surprise au foyer et ses camarades de classe ont vendu la mèche…
Ah ben oui, j’ai un amoureux, je vous ai pas dit?
Vous vous souvenez de ma rencontre avec Şafak, le joueur de tambour? Et bien on s’est revus! Il est venu me chercher en haut de l’île. Il a proposé qu’on aille manger un bout dans un resto de poissons tout en bas. Bon, comme c’était un rendez-vous, j’avais mis des hauts talons… il a donc fallu m’aider à descendre la montagne pour éviter que je me torde la cheville. C’était pratique, grâce à cette gymnastique, on s’était déjà rapprochés. A tel point qu’arrivés en bas, il me parlait comme si on sortait déjà ensemble alors qu’on ne s’était même pas encore embrassés. Il faisait très gentleman, très bien élevé, j’ai trouvé ça mimi.
Şafak a 25 ans, il est joueur de tambour et joue à la fois dans un groupe de musique folklorique et dans des orchestres symphoniques. Il vit avec deux colocataires: Atilla, contrebassiste et Ebu, tromboniste. Ses parents? Ils vivent en Anatolie centrale, pas très loin d’Ankara. Il me raconte avec une moue que contrairement à lui, ils sont musulmans et très traditionnels. Son papa Ahmet est un homme très sévère qui, dit-il en le mimant, se caresse la moustache quand il réfléchit. Quant à sa maman, elle porte non seulement le hijab mais aussi le ‘teşettür’, elle est donc voilée de la tête aux pieds. Ca jure un peu avec le personnage que j’ai en face de moi: Şafak est hyper moderne, il porte même une boucle d’oreille! Il avoue que ce bijou a été une source de dispute. Pour son père, c’était une honte; pour le musicien, c’était un symbole porté par beaucoup d’artistes à Istanbul. Il fut un temps où, pour ne pas froisser son papa, il retirait sa boucle d’oreille quand il rendait visite à sa famille. Jusqu’au jour où son père a vu son fils arborer son anneau lors d’une performance musicale à la TRT (la chaîne de télévision publique)… et a compris que son combat était vain.
Il n’était pourtant pas facile pour Ahmet d’accepter que son fils mène sa propre vie. Il aurait aimé que celui-ci suive une toute autre voie: celle de soldat. Şafak me raconte que ses parents l’ont poussé à s’engager dans l’armée à l’âge de 16 ans. Non pas pour un petit service militaire, non non, pour la vie! Ou presque car en Turquie, un soldat est lié par contrat pour une durée de quinze ans(!)
Pour Ahmet, c’était une façon d’assurer l’avenir de sa progéniture; pour l’adolescent que Şafak était à l’époque, c’était la classe! Après tout, être soldat dans le pays d’Atatürk, c’est une fierté nationale. Seulement, à l’âge de 21 ans, Şafak ne pouvait plus voir l’institution militaire en peinture… et il s’est enfui! « Aujourd’hui, m’explique-t-il en sirotant son rakı, je suis considéré comme déserteur et recherché. Pas activement mais recherché quand même. Si l’armée me retrouve, je serai envoyé en prison pour six mois. »
« Mais c’est horrible! » m’exclame-je avec des yeux ronds. « Mais non » me répond-il avec son sourire en coin. « Et toi alors, dit-il pour changer de sujet, raconte-moi pourquoi tu aimes tellement la Turquie. C’est tellement incroyable… »
Cette anecdote date du mois d’août 2009. Elle a été écrite au mois de février 2012.
Elle est parue sur le site du Petitjournal.com le 9 février 2012 pour inaugurer la nouvelle rubrique ‘De blog à blog’.
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Ce matin là, je me lève avec l’intention d’aller écrire un article au Café Susam. Enfin ça c’est la version officielle: en réalité, j’espère y croiser le sexy Lider. Mano, qui a bien compris mon manège, me dit en partant: « Kardeş, ne tombe pas amoureuse d’accord? Rappelle-toi ce qu’on a dit: ce mec là, c’est juste pour une nuit! » Je lève les yeux au ciel et répond un « Mais ouiiiii, je ne suis pas gourde » un rien excédée. C’est vrai que c’est ce qu’on s’est dites. Si à première vue, Lider a l’air d’un mec bien, une observation plus poussée nous fait penser qu’il a dû en faire pleurer plus d’une.
Sur le chemin vers le Café Susam, impatiente, j’accélère le pas. Je jette un coup d’oeil rapide à l’intérieur, je pousse la porte et déception: il n’est pas là. « Günaydın! » Je sursaute. Cette voix grave, qui vient de me dire bonjour, c’est la sienne. Il est là, assis à la première table à l’entrée, pile derrière la porte.
J’ai le coeur qui bat la chamade mais j’espère qu’il n’a rien remarqué. Reprenant mes esprits, je lui souris et lui demande nonchalamment si je peux m’asseoir. Il acquiesce. Je propose de prendre le petit-déjeuner ensemble. Il répond « with great pleasure* » avec son parfait accent londonien.
Pendant que l’on partage un « geleneksel kahvaltı« =’petit-déjeuner traditionnel, il me parle de sa famille. Sa mère a quitté l’île de Chypre lorsqu’elle était enfant pour fuir le « nettoyage ethnique ». C’est la première fois que j’entends le son de cloche d’un Chypriote turc. La presse parle bien sûr du « conflit chypriote« , de violences « intercommunautaires » mais pas vraiment de l’Histoire en ces termes. Ceci dit, je ne suis pas étonnée. Les minorités sont rarement entendues. De plus, seule la partie grecque de l’île est reconnue par la communauté internationale. L’Histoire n’a jamais été écrite par les perdants…
Une heure plus tard, alors qu’on est passés à un sujet plus léger, je dois bien avouer que je suis sous le charme de cet homme. En plus de ses yeux en amande et de sa peau caramel, c’est son caractère qui m’attire irrésistiblement. Quand je vais raconter cela à Manolya… Soudain je me rends compte que j’ai complètement zappé mon rendez-vous sur Skype avec Sybille, l’une de mes meilleures amies. On devait s’appeler à midi. Un rapide coup d’oeil à ma montre m’apprend que j’ai déjà 15 minutes de retard. Ah ça tombe mal! J’écourte à contre-coeur ce petit-déjeuner galant improvisé en espérant pouvoir continuer dans le même esprit à un autre moment. Ce soir, j’espère… puisqu’on se voit au concert, celui de sa soeur, auquel il m’a invitée quelques semaines plus tôt.
* « avec grand plaisir », en anglais.
Cette anecdote s’est déroulée en novembre 2009 mais a été écrite le décembre 2012.
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